Wokisme et déconstruction : Un lien historique et idéologique ?






15 Mai 2023

Quels sont les liens historiques et idéologiques entre la déconstruciton et le wokisme, deux phénomènes omniprésents dans notre société ? A travers une exploration riche et complexe, Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, nous explique le paysage sociopolitique actuel sous un nouveau jour.
Il est auteur de l'ouvrage "De la déconstruction au wokisme" à parraitre le 25 mai chez VA Éditions.


On entend beaucoup parler du wokisme, mais à quoi cela correspond précisément ?

 
Être woke était à l’origine être « éveillé » aux discriminations aux États-Unis. Les excès de certains, notamment la « cancel culture » ont évidemment suscité des réactions hostiles, et le terme est devenu péjoratif.

Votre livre s’intitule « De la déconstruction au wokisme », le premier est-il l’origine du second ?

 
En partie : les auteurs de la « déconstruction » ont fourni un cadre intellectuel. Il est important de le décrire, en raison notamment de l’influence de ces intellectuels dans les milieux universitaires. Cependant, la cancel culture n’a pas eu besoin de justification intellectuelle pour se propager. Pour ceux qui la pratiquent, la justification est d’ordre moral.
 

Le wokisme est-il vraiment un nouveau mouvement sachant, par exemple, que le déboulonnage des statues avait déjà eu lieu bien avant l’invention du terme ?


Le réel existe avant qu’un mot ne le résume. Et un mot ne fait pas le réel. Mais il participe à la bataille idéologique en cours, qui est aussi une bataille des mots, à imposer ou à réfuter. Il est intéressant de noter que les détracteurs l’utilisent souvent, car ils perçoivent qu’ils marquent ainsi des points dans cette bataille idéologique. Pour la raison inverse, ceux que l’on peut définir comme « woke » tentent souvent de nier l’existence du wokisme, car le terme est devenu péjoratif.
 

Pourquoi utiliser les préfixes « néo » ou « post » ?


Si on prend le féminisme comme l’un des volets de cette bataille idéologique, il y a une différence entre le féminisme disons « canal historique » et ce qui est nommé « néo-féminisme ». D’ailleurs les deux s’affrontent souvent par tribunes interposées dans les médias. Dans le livre, je montre que la différence n’est pas aussi absolue. Cependant, distinguer les deux a quand même un intérêt si on veut comprendre ce qui se joue. Quant à « post », c’est, je crois, plus simple : la pensée dite postmoderne a entrepris de « déconstruire » celle de la modernité (celle des Lumières, pour faire simple). Elle vient donc après la modernité (qui n’est pas ici synonyme de contemporain, mais se réfère à une ère).